Interviews

Sans détours – Tim Mathys – Standing Construct Honda (2/2)


Suite et fin de notre entretien avec le propriétaire de l’équipe Standing Construct Honda, Tim Mathys, pour qui évoluent Brian Bogers, Pauls Jonass et – temporairement – Jeremy Van Horebeek cette saison. Dans cette seconde partie de notre entretien “sans détours”, le directeur d’équipe Belge porte un œil critique sur l’évolution du mondial ces dernières saisons, évoque l’avenir, sa vision de la catégorie MX2, revient sur la différence de personnalité de ses pilotes et enfin, Tim Mathys ne cache pas son inquiétude quant à l’avenir du sport en Belgique, autrefois plaque tournante du Motocross en Europe. Pour les retardataires, la première partie de l’entretien est disponible ici, et revient – entre autres – sur la séparation entre les Autrichiens et l’équipe Standing Construct fin 2022. Micro.

[…] Tim. Cette année, Infront s’est engagé à apporter un soutien plus important aux équipes. Avez-vous bénéficié de ces aides, font-elles vraiment la différence et penses tu qu’il s’agisse d’une solution pour attirer davantage de pilotes et d’équipes dans les paddocks à l’avenir ?

Je ne suis pas quelqu’un qui ne regarde que le côté négatif des choses. C’est toujours plus simple de regarder du côté négatif que du côté du positif, et c’est du coup toujours plus simple de se plaindre. J’essaye toujours de peser le pour et le contre.

Je pense qu’on peut féliciter Infront pour ce qu’ils font cette année, avec la baisse des engagements pour les pilotes wildcards. Ça va en aider certains. Par exemple ils étaient 40 engagés en MXGP à Loket pour ce weekend et ça ne serait pas arrivé sans ces changements. Chaque Euro qu’un petit team n’aura pas à payer pour placer un pilote derrière la grille, ce sera du positif pour la suite. En ce qui concerne les aides pour les GP oversea, ça aidera forcément. Encore une fois, chaque Euro qui n’est pas dépensé est le bienvenu. Infront essaye de nous aider, cet argent injecté provient de leur budget et c’est respectable.

Les épopées oversea, en 2021 @Standing Construct

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Se rendre en Argentine ou en Indonésie, c’est toujours un gros trou dans le budget d’une équipe; donc la situation est délicate. D’un côté je peux comprendre le promoteur qui dit que c’est un championnat du monde et qu’il doit donc être disputé à travers le globe; c’est un argument entendable. Un pays comme l’Indonésie a un budget pour payer le promoteur afin qu’il organise des épreuves dans son pays. Ça je peux le comprendre aussi car le promoteur a besoin de budget pour organiser des grands prix mais ça n’en reste pas moins un coût difficile à supporter pour les équipes et selon moi, c’est aussi ce qui explique pourquoi on retrouve de moins en moins de teams dans les paddocks.

Pointer Infront comme le méchant dans l’histoire, ce n’est pas correct ni respectable vu les efforts qu’ils font cette année. Il faut simplement espérer qu’à l’avenir, il y aura encore plus de solutions pour aider les teams, pour faire en sorte que les GP oversea soient moins handicapants pour les équipes.

En parlant avec différents managers, on entend souvent dire qu’il y a trop d’épreuves au championnat. Selon toi, à quoi devrait ressembler le calendrier, dans le meilleur des mondes ?

Le nombre de GP qui figurent au calendrier actuellement, c’est le maximum pour nous. Je sais que si l’on compare avec d’autres sports comme le MotoGP et la Formule 1, on dispute moins d’épreuves mais on ne peut pas comparer ces sports car les budgets et les organisations ne sont pas les mêmes.

Si on regarde notre calendrier depuis les années 90′, on voit qu’il y a de plus en plus d’épreuves chaque saison. Le nombre de GP qu’on fait maintenant, c’est vraiment le maximum. Le nombre de GP oversea qu’on fait maintenant ? C’est le maximum également car sinon, on va tuer trop de teams qui ne pourront pas trouver le budget pour s’engager sur toute la saison de grand prix.

Diminué physiquement, Brian Bogers fait de son mieux cette saison @Standing Construct

Est-ce que vous avez tiré un trait sur la catégorie MX2 avec Standing Construct ?

Il ne faut jamais dire jamais. Par le passé avec Wim Van Hoof , quand on était encore des adolescents, on était passionnés par la préparation des moteurs de 125 et cette passion, on avait pu la mettre à bon usage sur la 250 quand on évoluait avec le team en MX2. Tu n’imagines pas combien de fois j’ai eu un coup de fil de Wim à une heure du matin pour me dire “Tim, on a gagné 0,5 chevaux sans perdre de couple, ou de puissance à bas régime !”. On était peut-être même plus passionnés par la préparation de nos moteurs en MX2 que par la préparation de nos moteurs aujourd’hui; c’est aussi quelque chose que j’ai appris quand on est arrivé en MXGP.

Les gens au sein de l’industrie, toi, moi, on sait que la compétitivité entre la catégorie MX2 et la catégorie MXGP n’est pas si différente que ça, mais les sponsors extérieurs et les non initiés ont l’impression que le MX2, c’est l’équivalent de la Formule 2, et que le MXGP c’est l’équivalent de la Formule 1. C’est le sentiment que j’ai en parlant avec les gens, avec les sponsors. Ils voient le MX2 comme une catégorie de transition, et la catégorie MXGP comme la “vraie” catégorie.

Pour l’instant, je pense qu’on restera en MXGP à moins d’avoir une énorme opportunité pour signer un pilote en MX2. Par le passé, on a déjà vu des parents très riches qui étaient prêts à nous payer des sommes astronomiques pour que leur fils évolue au sein de notre équipe mais ce n’est pas notre vision des choses. Si on a une grosse opportunité en MX2, si on est en mesure de viser le titre, si on est en mesure de signer un garçon comme Coldenhoff à l’époque, on pourrait envisager avoir un pilote en MX2. Vu comment les choses se déroulent à l’heure actuelle, je préfère qu’on s’en tienne à la catégorie MXGP.

Avec le recul, quel était le pilote avec qui il était le plus facile de travailler et a contrario, celui avec qui il était le plus difficile de travailler ?

C’est une question dangereuse ! On ne va pas parler du pilote le plus difficile en parlant de manière négative, mais plus du pilote qui était le plus exigeant, qui demandait le plus de choses, au niveau de la moto ou du testing par exemple: Glenn Coldenhoff. Glenn est un garçon exigeant, mais il l’est également avec lui-même dans sa vie d’athlète. Il fait attention à tout: sa nourriture, son mode de vie, son entraînement, sa famille. Toutes les choses qu’il fait, même les plus insignifiantes, il les fait à 99%, sinon à 100% pour être au top dans son sport. Il veut être le plus préparé, avoir le meilleur matériel, être le plus costaud physiquement. Travailler avec Glenn, c’était le plus délicat mais ça restait du positif car il était très impliqué.

Le pilote avec qui il était le plus simple de travailler, qui était toujours content, avec qui on testait et qui n’avait jamais rien à redire sur ce qu’on lui proposait, c’était Max Anstie. En 2019, on avait Glenn et Max dans le team et le contraste était saisissant. L’un nous donnait le feu vert pour tout, et l’autre ne nous le donnait jamais sans faire du testing, encore, et encore du testing.

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Deux pilotes au tempérament bien différent @Standing Construct

J’aimerais ajouter que le pilote avec qui on a pris le plus de plaisir, c’était Ivo Monticelli. J’ai vu Ivo rouler à Saint-Jean d’Angely en 2018, puis plus tard à Loket. Il n’avait pas une moto très compétitive mais il avait le niveau pour jouer le top 5. Je ne le connaissais pas à l’époque, j’ai fini par lui parler et enfin, par le prendre au sein de l’équipe. On l’a fait venir en Belgique dans un de nos appartements, on l’a fait s’entraîner avec un préparateur Belge. Il a gagné d’entrée de jeu dans le sable de Hawkstone à l’intersaison. Il a également terminé 5ème à Arco en début de saison 2019. On a pu démontrer que ce n’était pas parce qu’un pilote n’avait jamais signé de résultat qu’il ne serait jamais capable d’en signer.

Ivo était le plus drôle, le plus gentil des garçons. Parfois, quand je regarde mes pilotes en pré-grille avant les courses je me sens un peu mal pour eux. Je les vois très stressés, anxieux à propos de la course qui va se dérouler. Ivo n’était pas comme ça, il était du genre à faire des blagues, à rigoler avant la course. Un bon exemple de ça, c’était en Lettonie en 2019. Il avait terminé 4ème ou 5ème de la manche qualificative et il était à côté de Glenn en pré-grille. Glenn rentrait dans sa zone, se concentrait avant sa course et Ivo était à côté en train de déconner, de rigoler. Deux ou trois minutes avant le début du tour de reconnaissance, j’ai dit à Ivo: “Ivo, il est où ton casque ?” … Il l’avait oublié ! Ivo était tellement relax qu’il en avait oublié son casque !! C’était vraiment différent avec lui. Le vendredi sous l’auvent, c’était un vrai clown. Toute l’équipe l’adorait, les autres pilotes l’adoraient. C’était le pilote le plus fun à avoir dans le team.

Déjà 13 ans dans les paddocks du mondial, où te vois-tu d’ici 5 ans ? La flamme est-elle toujours présente ?

La flamme est toujours présente mais pour te répondre honnêtement, je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait. Chaque année, on doit travailler vraiment très dur pour être en mesure de gérer l’équipe. Cette année, on connaît une saison difficile en terme de résultats à cause des blessures mais chaque année, on est quand même là, on est présents, et on est l’un des teams qui – je pense – présente le mieux que ce soit sur les GP Européens que sur les GP oversea. C’est comme ça que je gère mon team mais chaque saison, ça nous demande énormément de travail pour trouver le budget nécessaire, pour signer de bons pilotes, pour être organisés et prêts pour chaque épreuve. C’est énormément de travail, beaucoup d’énergie de dépensée. Pour l’instant, je suis encore motivé, mais qui sait si ça changera d’ici les prochaines années ?

Il faut savoir que pour moi comme pour de nombreuses personnes au sein du paddock c’est la même chose: je n’ai pas besoin de faire ça pour gagner ma vie. Certaines personnes vivent grâce à ce sport mais ce n’est pas le cas pour moi, c’est même l’exact contraire. Je dépense beaucoup d’argent pour mon équipe, je fais beaucoup d’efforts mais je n’ai pas besoin de mon équipe pour vivre et je pense que de plus en plus de teams sont dans le même cas que moi.

Dernièrement, je parlais au manager d’un autre team et on a tiré le même constat: on était capable de nommer minimum 8 personnes qui géraient des équipes et sans ces personnes, ces équipes n’existeraient pas. Il y a Louis Vosters, Hans Covers, Kay Hennekens, Kimi Raikkonen, … tu connais les autres. Ces gens-là sont nécessaires au championnat du monde et si tu les retires de l’équation, les choses sont tout de suite très différentes.

Sans l’investissement financier d’une poignée de passionnés, à quoi ressemblerait les paddocks du mondial MXGP ? @Standing Construct

Pour finir, es-tu inquiet de l’avenir du Motocross en Belgique avec les récentes fermetures de terrains en masse ? À l’époque, c’était la Mecque du Motocross, ce n’est clairement plus le cas.

Je suis très inquiet, ça en devient ridicule. Peu importe le sujet, je respecte l’opinion de chacun et je suis prêt à discuter avec n’importe qui mais le gros problème en Belgique, c’est l’aspect politique et judiciaire. Il suffit qu’une personne porte plainte, et tout peut s’arrêter. Ce n’est pas seulement le cas pour le Motocross, c’est pareil dans le monde de la construction et c’est un réel problème. Il y a tellement de contentieux auprès de la justice qu’une affaire de plainte peut prendre 4 à 5 ans pour être résolue mais pendant tout ce temps, tout est bloqué. On se retrouve avec des gens qui emménagent à côté des circuits, qui considèrent que les motos font trop de bruit, qui portent plainte et qui privent des milliers de personnes de leur passion, et même certains de leurs gagne-pain. C’est un gros problème en Belgique. Il y a beaucoup de choses que je n’aime pas, et ce n’est pas pour autant que je porte plainte contre ces choses. Tout ne peut pas toujours être exactement comme tu le voudrais mais malheureusement en Belgique, il ne suffit que d’une personne pour porter plainte, et que tout soit terminé.

On avait une épreuve qui réunissait 500 pilotes en Belgique, du côté d’Anvers, à Pulderbos; c’était une épreuve sur laquelle j’allais avec mon père quand j’étais petit. Beaucoup de personnes venaient, c’était une course très populaire. Il y a quelques mois, une personne a découvert qu’à côté du circuit, il y avait un type d’arbre qui ne pousse nulle part ailleurs. La course est désormais annulée et ça, c’est à cause des gens qui n’ont aucun respect pour les autres.

Je suis très surpris que des pilotes comme Jago Geerts, Liam Everts et les frères Coenen soient en mesure de figurer parmi les meilleurs pilotes mondiaux car pour atteindre ce niveau, ils ont dû rouler sur des terrains en étant très jeunes et déjà à l’époque c’était difficile pour eux d’en trouver. La vérité, c’est que les pilotes Belges n’auront plus aucun espoir à l’avenir car pour l’heure, il ne reste plus que 2 ou 3 terrains officiels en Belgique, qui sont tous au même endroit. Je suis très inquiet pour le Motocross en Belgique.

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