Interviews

Rémy Cochard “être gérant de Moto Club, c’est faire des sacrifices”


On donne (très) souvent la parole aux pilotes et pour rétablir un tant soit peu la balance; on a décidé d’étendre nos horizons à de nouveaux interlocuteurs. Après avoir tendu le micro à la déléguée du National 450 mais après avoir aussi fait parler le bilan comptable du Moto Club de Lauzerte, on a donné la parole au (nouveau) président du MC Lauzertois qui, pour la deuxième année consécutive, a organisé une épreuve de championnat de France National 450 avec ses équipes. Ancien pilote, bénévole, passionné et désormais président du Club au sein duquel il a grandi, Rémy Cochard nous en dit plus sur le fonctionnement d’un Moto Club organisateur d’épreuves, soient-elles de ligue ou de championnat de France. Micro.

Rémy Pour commencer est-ce qu’on peut raconter l’histoire du Moto Club de Lauzerte et expliquer les changements récents au sein du comité directeur puisque tu m’as expliqué avoir repris les rênes l’an dernier.

Tout a démarré en 1992. À la base, c’était une bande de potes qui faisait du Motocross et qui a décidé de faire un petit terrain d’entraînement. Tout le site était en friche, ils ont mis un an à tout débroussailler et à tracer les pistes à la main. C’était le terrain d’entraînement des locaux. De fil en aiguille, ils se sont dit qu’ils allaient essayer d’organiser une course, c’est vraiment parti de rien. Le club est monté en échelon au fil du temps jusqu’à organiser des épreuves. Le club a surtout organisé de la ligue à ses débuts. Ils ont organisé une épreuve du Cadet en 2009 puis par la suite, ils ont évolué avec un cross inter’ primé pour ramener quelques têtes d’affiche. On a eu de sacrés plateaux à Lauzerte avec de très beaux noms, des Pourcel, Seguy, Tarroux, Izoird, le team HDI de l’époque venait s’entraîner ici. On a vu du beau monde.

Vainqueur des 12 premières manches de la saison de Cadet, Dylan Ferrandis se blesse en 2009. Maxime Desprey remportait l’épreuve du Cadet de Lauzerte devant Jordan Lacan & Adrien Escoffier. Maxime ira chercher le titre devant Dylan Ferrandis, qui loupera les deux dernières épreuves de la saison. À l’époque, les Cadets disputaient 3 manches par round. @James Williams (2008).

Il n’y a plus eu de championnat de France à Lauzerte entre ce Cadet de 2009 et le National 450 l’an dernier, en 2022 ?

Non. C’était resté là-dessus. L’an dernier, le président qui avait fait plus de 15 ans à la tête du Moto Club n’avait plus envie, il en avait marre; ça le dépassait un petit peu et il a voulu souffler. L’occasion s’est présentée pour moi, personne ne voulait trop reprendre la main. C’était un rêve de gosse car on peut dire que je suis né sur ce terrain. J’ai dit “on reprend”. J’ai pris deux ou trois jeunes qui ont grandi avec moi ici pour faire un nouveau bureau et se lancer dans l’aventure. Tous les anciens nous ont filé un gros coup de main pour mettre un pied à l’étrier, et ils sont d’ailleurs toujours là pour nous diriger et nous aider avec la paperasse et tout ce qu’il faut faire. D’entrée, on s’est lancé un défi en demandant le championnat de France. Ça a été accepté, mais il n’y avait rien derrière; ce n’était qu’une épreuve sur le papier et il y avait absolument tout à faire. Ça pouvait très bien se passer comme devenir une galère monstre. Finalement, ça s’est très bien passé, on a eu des éloges et c’était super satisfaisant. Du coup, on a décidé de refaire la demande pour cette année, j’en avais parlé avec la déléguée du National 450 – Leslie Quince Leger – et il n’y avait aucun souci pour elle. Voilà comment on nous a attribué la finale du France cette année.

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Quand tu entends que la personne qui était là avant toi arrête parce qu’elle en avait marre, ça ne t’a pas fait peur ?

Non. L’ancien dirigeant, c’est quelqu’un que je connais très bien, le papa d’un très bon copain à moi. Je pense qu’au bout de 15 ans, on se lasse, on se repose peut-être aussi un peu sur ses acquis. Il y avait besoin d’un vent nouveau et c’était l’occasion de se lancer pour nous. On verra dans 15 ans quel bilan on tirera de cette aventure.

Comment on fait la demande pour organiser une épreuve de championnat de France ? J’imagine que certains clubs se posent encore cette question.

On doit en faire la demande auprès de la FFM. Il y a un cahier des charges à respecter, et ce dernier nous a permis de faire évoluer le club positivement. Il nous fallait de nouveaux sanitaires, des ajustements au niveau de la grille de départ, dans les paddocks également. Il y a pas mal de petites choses à mettre au point, des choses qu’on n’avait pas, et ça nous a permis de faire progresser le club.

Rémy Cochard est un président de club bénévole, comme beaucoup d’autres à travers l’hexagone.

Avec le recul que tu as, tu vas compléter cette phrase. Être gérant d’un motoclub, c’est ….

Être gérant de Moto Club, c’est faire des sacrifices. Au niveau de la vie personnelle, et rien que pour ce Motocross, ça fait un mois que je ne suis plus chez moi. Je vis jour et nuit ici, je pense jour et nuit au Motocross. Il y a toujours des choses à faire, à penser, à rectifier. C’est énormément de boulot mine de rien et ça on s’en rend compte quand on le fait. Il faut savoir que je ne suis pas salarié de ce Moto Club, tout ça, c’est du bénévolat. Il n’y a aucun salarié dans le club. J’ai 30 ans aujourd’hui, je suis artisan dans le bâtiment et ça me permet de pouvoir à peu près choisir quand je prends mes vacances et ces vacances, je les passe au sein du Moto Club. Il faut avoir beaucoup de passion. Je roulais avant, et en arrêtant, reprendre le club était un moyen de continuer à exprimer ma passion.

Au niveau de l’engagement que paient les pilotes, on est capable de savoir quelle part revient au club ?

Non, je ne suis pas capable de te le dire, il faudrait voir avec la trésorerie [NDLR: sur un engagement à 80€, le Moto Club touchait 61€ en 2022]. Ce que je peux te donner comme exemple, c’est qu’on paie l’engagement pour les pilotes de la ligue Occitanie pour le National 450 pour pouvoir leur permettre de faire du championnat de France. C’est une très bonne chose et j’incite tous les clubs à le faire. On prend en charge leurs engagements, ça permet à nos pilotes de faire du national et ça nous permet aussi de compléter les grilles.

Quand on organise une épreuve comme celle-ci, est-ce qu’on arrive à être rentable ?

On arrive, heureusement, à gagner un petit peu d’argent, mais ce ne sont vraiment pas des sommes folles. Le dernier bilan, on était aux alentours de 55.000€ de chiffre d’affaires et si on gagne 4.000 ou 5.000€ là-dessus c’est déjà une belle opération même si on a fait de nombreux investissements qui ont englouti ces bénéfices l’an dernier. Si on arrondit à la louche, on peut dire que l’épreuve nous coûte entre 45.000 & 50.000€. Tout ça, c’est de l’argent qui part dans la sécurité, dans la préparation du terrain, dans les services de secours. Il faut savoir que l’aspect sécurité nous coûte extrêmement cher, on est à plus de 4.000€ juste pour les secouristes et c’est sans compter les ambulances. On fournit des ambulances pour ne pas affecter les casernes de pompiers qui sont proches car ici, on n’a pas de pompiers professionnels, ce ne sont que des bénévoles. On paie donc des ambulanciers et des ambulances pour permettre à une évacuation en cas de besoin. Il faut aussi savoir que si une ambulance part et qu’il n’y en a pas une seconde de prête sur le terrain, la course est forcément arrêtée. On fournit par exemple deux ambulances, ça permet d’avoir un roulement sans interruption en cas de problèmes.

Dossier: le bilan comptable d’un club organisateur de championnat de France

On peut voir que les critiques sont parfois un peu facile quand on ne connaît pas le travail réalisé en amont. Est-ce qu’on se dit que ces gens là n’ont pas conscience de tout le travail qu’il faut faire pour réaliser une épreuve ? Ils arrivent le samedi, ils roulent le dimanche, ils repartent. En réalité, c’est la même chose pour moi … J’imagine qu’on ne roule pas sur l’or en organisant des épreuves.

Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en tant que club, on n’est pas là pour prendre de l’argent à qui que ce soit. On fait tout ça par passion et comme je le disais, c’est énormément de sacrifices pour beaucoup de monde. Je pourrais inviter les pilotes à se rapprocher auprès des clubs pour qu’ils puissent voir comment ça marche ne serait-ce que lors de la pré-organisation. Rien qu’au niveau de la paperasse, c’est incroyable de voir tout ce qu’il faut faire. Heureusement que j’ai le trésorier et la secrétaire qui font un boulot monstre. Il y a tous les dossiers de subventions, d’homologations, d’autorisations. On doit respecter des cahiers des charges de dingues et après tout le travail effectué, c’est sur que certaines réflexions nous font un peu mal. Sur certains entraînements parfois, on peut entendre que la piste n’est pas assez arrosée, pas assez griffée, trop dure. Ça reste du Motocross, on est dépendants de beaucoup de choses: du voisinage, de la météo, du type de terrain qu’on a mais aussi des bénévoles car le jour de la course, il y a bien heureusement de nombreux bénévoles mais tout le reste de l’année, il n’y a que 4 personnes pour faire tourner tout notre Moto Club. La critique est toujours facile mais ça reste une minorité. Je pense que les pilotes devraient aller voir un peu plus comment ça se passe derrière, dans l’envers du décor, et participer à la vie des clubs.

À peine Lauzerte 2023 bouclé que déjà, il faut penser à attaquer les démarches pour pouvoir prétendre à l’organisation d’une nouvelle épreuve du championnat de France en 2024; un cycle sans fin.

Est-ce qu’on ne pense pas qu’il y a comme un manque de dialogue parfois entre tout ce petit monde ? On entend un peu des sons de cloche différents de chaque côté, sans qu’on ait l’impression que le lien ne soit parfois vraiment toujours fait. Tu vas dans les paddocks, on te dit vert, tu vas voir l’organisation, on te dit bleu, tu vas voir le délégué, on te dit rouge. Ce n’est pas toujours le cas et c’est assez caricatural mais sur certaines épreuves, c’est vraiment l’effet que ça fait.

Je pense qu’il y a des choses à mettre en place, il faut savoir évoluer en permanence et ne pas rester sur des acquis trop anciens. Est-ce que ça ne vaudrait pas le coup de monter un collectif, d’organiser des journées juste pour ouvrir des dialogues ? Pourquoi pas même si ce serait quand même compliqué à mettre en place étant donné qu’il y a des épreuves partout dans la France, mais il serait peut-être bon de pouvoir tous se réunir autour d’une table pour tirer les choses au clair avec toutes les parties concernées pour aller dans le bon sens tous ensemble. C’est sûr qu’on peut toujours s’améliorer. Il y a des pilotes qui ont la critique facile, des clubs qui ont aussi une mauvaise gestion de l’organisation. On ne peut jeter la responsabilité sur les uns ni sur les autres mais une chose est sûre, ce n’est qu’avec le dialogue qu’on trouvera des solutions. On est tous des passionnés, au fond.

Vous avez l’un des plus beaux villages de France à côté, on connaît bien les problèmes de nuisance que la plupart des Moto Clubs peuvent rencontrer à travers la France. Vous y êtes également confronté à ces problèmes ici aussi, à Lauzerte ?

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Oui et non. Le fait que ce soit l’un des plus beaux villages de France est surtout un plus pour nous car on a un site qui donne une belle vue sur ce village, mais nous, on n’a pas vraiment de restrictions par-rapport à ça. En fait, l’événement est plutôt bénéfique pour la ville de Lauzerte car il ramène du monde dans ce coin assez reculé. Le souci au niveau de l’écologie, je pense que tout le monde y travaille, en haut comme en bas. On va tous dans le même sens pour que ce soit bénéfique pour tout le monde. Que ce soit au niveau du bruit ou de la pollution. On s’est adapté. Par exemple et désormais, on a des tapis récupérateurs d’huile pour l’environnement, on a de plus en plus de restrictions au niveau des passages au sonomètre. Tout est fait pour essayer d’arranger tout le monde. Chez nous, le plus gros problème reste le bruit car il faut respecter le voisinage. C’est pourquoi on se tient à une ouverture par mois sur l’année. On n’ouvre pas pendant les mois d’été par respect pour les hôtels qui sont autour. Il y a des gens qui n’aiment pas ce sport et je pense qu’il faut aussi les comprendre et les respecter. Comme je le disais plus tôt, si tout le monde se respecte, on ne peut qu’aller dans le bon sens.

Est-ce qu’on est capable de chiffrer combien de bénévoles sont nécessaires à l’organisation d’une épreuve de championnat de France sur ce circuit de Lauzerte ?

On est à plus d’une centaine de bénévoles pour faire tourner une épreuve comme celle-ci. Sans eux, rien ne serait possible.

Pas de bénévoles, pas courses.

Tu viens de reprendre le Moto Club, on parle souvent de la préparation des pistes dans le paddock. Qu’est-ce qu’on fait pour contenter ces pilotes ? C’est un peu le point d’orgue à chaque fois, qui fait qu’une épreuve est réussie ou non à leurs yeux. Est-ce qu’on discute avec les délégués des pilotes pour savoir ce qu’ils attendent sur un France, où est-ce qu’on se cantonne à faire ce qu’on sait faire pour – par exemple – de la ligue ou de l’entraînement ?

C’est vrai que je n’ai pas pensé à aller voir les délégués des pilotes pour parler de la préparation des pistes, et ce serait peut-être une bonne chose à faire. On sait qu’il y a des pistes au championnat qui sont plus ou moins bien préparées. Ici, on essaie de vraiment mettre l’accent là-dessus. Pour nous, un Motocross réussi c’est un Motocross sans poussière, avec des trajectoires et de la difficulté. L’an dernier, on avait des portions qui ne nous plaisaient pas trop, donc on a fait des modifications. On a fait certaines choses et on en tirera les leçons au terme du week-end. On a aussi la chance d’avoir beaucoup d’agriculteurs sur la piste, des gens qui connaissent la terre, qui savent comment la travailler et surtout te dire quand arrêter d’arroser [rires]. On a très vite fait de faire une connerie et de faire une préparation lamentable. On est aussi tributaire du terrain. La terre change d’endroit en endroit. On a trois types de surface sur notre terrain; un peu de sableux, de l’argileux et du vraiment compact. C’est un peu compliqué mais on essaie. On gratte, on élargit, on ouvre les virages, on essaie d’évoluer petit à petit et positivement. On verra les retombées qu’on aura au terme du week-end.

On discutait avec Romain Jacquiot après la finale du National 125; il faisait le parallèle avec le championnat Angora en Suisse. Là-bas, il y a un groupe de gars qui vient s’occuper de l’organisation des épreuves, de toute la préparation, de la piste et le club ne gère finalement que les entrées et les buvettes. Ça coûterait peut-être plus cher en engagement aux pilotes, mais s’ils savent que ça vaudra le coup de se déplacer à chaque épreuve, ça pourrait faire la différence selon toi en plus de vous délester d’une charge de travail ?

Je pense que le gros point fort, ça pourrait être au niveau du tracé de la piste, des sauts, des virages. Tracer et préparer des pistes, c’est un métier, ça s’apprend, et ce n’est pas donné à tout le monde de savoir le faire. Ça pourrait être une très bonne chose mais encore une fois, il faudrait chiffrer tout ça, voir combien ça couterait aux clubs et savoir si c’est amortissable à notre niveau. Modifier le prix des engagements, je ne sais pas si ce serait forcément possible et si tous les pilotes seraient partants. Aujourd’hui, on a quand même des gens qui font ça pour le loisir le samedi, et d’autres de façon un peu plus professionnelle le dimanche. Dans le milieu pro’, oui, c’est tout à fait envisageable de sous-traiter cette partie là et ce serait même une très bonne chose mais sur des clubs à notre échelle, je ne sais pas si tous les pilotes seraient prêts à payer plus pour rouler sur des pistes énormes avec des triples et des enchaînements de malades, même si ces pistes sont vraiment bien préparées.

La préparation des pistes est un sujet qui revient souvent sur la table sur les championnats de France Nationaux

Si demain, on décide de réunir tous les nationaux sur une seule et même épreuve, est-ce que ça ne serait pas plus intéressant pour des clubs de votre taille ? Est-ce que vous êtes finalement plus attaché à garder vos épreuves de ligue tout en organisant, en parallèle, un national ?

Je pense qu’il ne faut pas être égoïste. C’est sûr que pour le spectacle et les organisateurs, avoir le National 125, 250 et 450 ce serait génial car c’est une question de prestige. Mais il faut aussi penser à tous les autres clubs à côté car ce sont aussi eux qui – mine de rien – font également vivre la fédération. Que ce soit pour les clubs ou pour les pilotes, ce serait plus un désavantage pour certains que cela ne profiterait finalement réellement aux autres. Dans toute la France, il n’y aurait que 5 ou 6 Motoclubs qui prendraient les épreuves du national et tous les clubs à côté seraient mis à l’écart. Pour un Moto Club, c’est très gratifiant d’organiser une épreuve de championnat de France, même au niveau départemental. On le voit bien chez nous; sur ces deux années, la réputation du Motocross de Lauzerte s’est étendue. De plus en plus de personnes parlent de l’épreuve de Lauzerte. Regarde, il y a un terrain à 100KM de chez nous et si ce terrain avait pris les trois nationaux deux années de suite, on se serait retrouvé à faire uniquement de la ligue. Je ne sais pas si c’est le plus motivant à organiser et je ne sais pas non plus si on aurait autant parlé de nous. Il ne faut pas non plus oublier les pilotes amateurs et je peux parler en connaissance de cause; quand on roule sur le même terrain que les mecs qui se battent pour le titre de champion de France, c’est génial pour nous, c’est gratifiant. Il faut de la mixité au niveau des clubs, et du partage au niveau des épreuves.

La ligue, un attachement de longue date et des épreuves toutes aussi importantes pour les clubs.

Rémy Cochard “être gérant de Moto Club, c’est faire des sacrifices”
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